Parmi les multiples casquettes du responsable formation en entreprise, celle de l’investisseur n’est pas la moindre. Adopter la bonne posture face à ce rôle de stratège, fait de compromis et d’arbitrages, peut paraître complexe, mais reste un enjeu fort pour le responsable comme pour l’entreprise.
Comment se positionner en tant que responsable investissement formation ?
En tant que responsable formation en entreprise, vous êtes peut-être une personne de terrain, épanouie lorsqu’il s’agit de recueillir le besoin de vos collaborateurs. Ou alors, vous possédez plutôt un profil de technicien. Votre dada : concevoir les meilleurs parcours d’apprentissage possible, à la manière d’un ingénieur pédagogique.
Mais avez-vous conscience que votre rôle consiste aussi à penser comme un investisseur, veillant à ce que chaque somme injectée dans le développement des compétences le soit à bon escient ? C’est pourtant un aspect essentiel d’une fonction dont les contours sont redéfinis à mesure que le champ de la formation continue évolue.
Pour schématiser, « il existe deux types de responsables formation en entreprise : un premier, un peu passif, simple exécutant des directives du dirigeant, puis du DRH. Et un autre, plus proactif, véritable business partner et acteur de la stratégie de l’entreprise », observe Johann Vidalenc, responsable financement et certification au sein de l’organisme de formation Unow.
La formation, de manière quasi-unanime, est en effet désormais considérée comme un investissement, et non plus comme une ligne de dépense grevant le budget. Dans son rapport de 2020, Investir dans les compétences pour reconstruire l’économie, le cabinet Asterès le note bien : en l’absence d’investissement dans la formation, ce sont les gains de productivité et de croissance qui s’amenuisent de manière structurelle. Toutefois, si les entreprises ont bien compris leur intérêt, elles n’en demeurent pas moins tournées vers leur principal objectif – leur raison d’être même : leur rentabilité et leur développement.
▶️ Le rôle de responsable formation
Se positionner en acheteur avisé
Le responsable formation occupe par conséquent une fonction pivot. Elle requiert à la fois d’apporter des réponses aux demandes des collaborateurs, mais également de s’assurer que lesdites réponses représentent un investissement stratégique pour l’employeur. En résumé, il lui faudra choisir et défendre la pertinence de ses arbitrages.
Adopter une posture d’investisseur, c’est d’abord agir en acheteur éclairé. « Le responsable formation doit, d’une part, faire de l’optimisation financière, dans un contexte où les budgets de formation dans les entreprises sont de plus en plus restreints et où ces dernières ont de moins en moins accès aux fonds des OPCO. D’autre part, il est aussi un responsable des achats… mais qualitatifs, explique Johann Vidalenc. Aujourd’hui, on recherche de la qualité et de l’impact, des changements de pratiques professionnelles. On n’est plus seulement sur de la formation de “plaisance” ou pour détendre le climat social, par exemple. »
Mais ces deux casquettes s’avèrent indissociables d’une troisième, celle d’ingénieur pédagogique. Pour « trouver la bonne solution pour la bonne personne, au bon moment », le responsable formation doit mobiliser l’ensemble de ces compétences de manière complémentaire.
Se positionner en fin connaisseur du marché
Afin d’asseoir son positionnement, le responsable formation a besoin de connaître finement son écosystème : les métiers et leurs perspectives d’évolution, les solutions de financement, les acteurs, etc.
Comme il devra très certainement recourir à des organismes de formation externes, l’une de ses tâches consistera à mettre en place une veille et à les référencer, dans le but d’obtenir un vivier de prestataires partenaires et une offre harmonisée. Plus de cohérence, du temps et, idéalement, d’argent, voilà ce qu’il a à y gagner.
Autre levier sur lequel agir : la rédaction des appels d’offres. Ici, le bon gestionnaire laisse la place à l’ingénieur car l’appel d’offres doit déterminer les modalités techniques de la formation et évaluer la qualité des propositions pédagogiques.
« Les moyens à investir, le choix du prestataire et la mesure de l’évolution à l’issue de la formation, c’est un tout qui [découle] de l’objectif initial : “où veut-on arriver [avec telle ou telle formation] et dans quelle mesure ?” », ajoute Johann Vidalenc.
Se positionner en bon évaluateur
Actuellement, la formation est passée d’une logique de moyens à celle de résultats. On cherche à évaluer l’efficacité de la formation, de sa contribution à la valeur de l’outil productif. Le responsable investissement formation se doit d’élaborer une grille de critères adaptés et objectifs. Cela implique de parfaitement cerner, en amont, les compétences et acquis attendus, afin de mesurer si ces attentes sont remplies à l’issue du cursus.
D’après Mathilde Bourdat, consultante et formatrice, dans son article sur le retour sur investissement de la formation, il existe plusieurs niveaux d’évaluation. Il est possible d’interroger les participants, sous la forme très basique d’un questionnaire de satisfaction, de mesurer les connaissances acquises et leur degré d’application sur poste à l’issue du programme de formation, de quantifier l’impact d’une formation sur le fonctionnement et les résultats d’une entreprise (un processus souvent fastidieux, rarement mis en place et seulement pour les actions de formation à fort enjeu), ou encore de calculer le “retour sur investissement” (ROI) afin de rapporter le bénéfice de la formation à son coût (attention à bien considérer tous les frais, y compris annexes).
Certains plaident cependant en faveur du “retour sur attentes” (ROE). Ce dernier permet de sortir d’une logique purement quantitative au profit d’une autre, qualitative. Encore une fois, la question à se poser est la suivante : la formation mise en œuvre a-t-elle engendré les changements espérés ?
« Les supports utilisés peuvent être très simples… Pour moi, ROI et ROE ne signifient pas grand chose, en réalité. On a surtout besoin d’être humains, comme les managers, qui font remonter les données de terrain, partagent leurs constats… On doit créer les cadres qui permettront de jauger l’évolution », estime de son côté le responsable financement et certification.
Pour répondre à cette mission, le responsable formation ne se retrouve pas forcément seul. A l’instar d’Unow, le prestataire extérieur peut concevoir ses propres méthodes et outils d’évaluation et les partager avec le responsable formation. « Nous pouvons instaurer une démarche de coopération et comme le recueil de ces données est aussi un enjeu pour nous, c’est du gagnant-gagnant », souligne Johann Vidalenc.
Se positionner en tant que responsable investissement formation pour accroître sa légitimité
Selon lui, savoir se positionner en investisseur de la formation est une compétence de plus en plus recherchée par les entreprises, même si « selon leur taille et leur culture cette tendance peut être nuancée ». Il paraît donc essentiel que le responsable formation puisse comprendre et s’adapter aux attentes du marché. Selon les profils, cela peut se révéler difficile et demander quelques ajustements.
« La fonction formation souffre souvent d’un déficit d’image » quant à son importance stratégique au sein de l’entreprise. Se montrer capable de se positionner « au côté des directions opérationnelles [est l’un des] ingrédients nécessaires [à un] regain de légitimité », affirme Mathilde Bourdat, dans son article consacré aux nouvelles compétences du responsable formation. Un positionnement maîtrisé et solide permettrait d’intéresser davantage les dirigeants à la chaîne de développement des compétences de l’entreprise.Et Johann Vidalenc d’abonder : « Avoir des partis-pris dans le travail permet toujours de prendre une place plus importante, de se poser en consultant interne, d’apporter des préconisations… Cela permet aussi de gagner en marge de manœuvre dans sa fonction. Pour moi, ce positionnement est une compétence à développer ! ».